Le terme Yoga peut se traduire par « jonction », « unification » ou encore « union ». Cette réunification peut être celle du corps et de l’esprit, qu’il s’agira de synchroniser et d’harmoniser, ainsi que des dimensions matérielles et spirituelles de l’être humain. Jonction entre la Terre et le Ciel ou encore entre l'Energie (Prakriti/Shakti) et la Conscience (Purusha/Shiva). Mais cette union est également celle de son âme individuelle (âtman) avec le Principe primordial intemporel (Brahman) qui en est la source…
Nous voyons donc apparaître un premier niveau de recherche d'une meilleure coordination psycho-physique, d'équilibre, d'apaisement et de canalisation des pensées et des émotions, et un autre niveau beaucoup plus ultime de Libération spirituelle (Moksha) et de réalisation d'un état de supra-conscience.
C'est à ce niveau ultime que se place le but du Yoga, ainsi défini par de nombreux auteurs et compilateurs tels que Yâjnavalkya : « le yoga est l'Union de l'être individuel (Jivâtman) avec le principe suprême (Paramâtman) », ainsi que Vyâsa : « le Yoga c'est l'Eveil (Samadhi) » et également Patanjali dans ses Yoga Sutra (I, 2-3) : « le Yoga consiste à suspendre l'activité psychique et mentale (yoga cittavritti nirodhah), c'est alors que le Voyant, le Soi, réside en sa propre nature. »
Ces définitions suggèrent l'accession à un plan de conscience qui ne soit plus assujetti au domaine psycho-physique. Ainsi l'observation intérieure des yogis nous enseigne que l'âme n'est pas issue du psychisme ni du corps (le cerveau), mais au contraire, qu'elle en est la véritable source éternelle, si tant est que nous puissions nous extraire de notre inconscience, de notre ignorance et de nos illusions apparentes, afin d’atteindre la Connaissance spirituelle (Jnâna ou Gnose), bien au-delà de tous les savoirs relatifs.
Le Yoga est l’une des plus anciennes traditions spirituelles de l’humanité. Une tradition est un ensemble de pratiques qui se transmet au fil des âges (parampara) et qui a une origine transcendante. Les anciens Rishis (sages, poètes et voyants), en état de méditation profonde, auraient reçu par Révélation (Shruti) les enseignements sacrés du Veda et du Yoga.
Cette discipline, qui se perd dans la nuit des temps, se retrouve encore de nos jours sous diverses formes. Initialement apanage de la civilisation indo-européenne, nous assistons aujourd’hui à sa très large diffusion (bien souvent sous ses aspects les plus externes) au sein de nos sociétés modernes.
Cette méthode garde en elle une notion d’intemporalité tout en ayant pour objectif de nous reconnecter à l’ici et maintenant… Vaste programme où le yoga en tant que voie nous permet de nous ré-orienter et de cheminer en direction de Soi, par le biais d’une discipline de vie et d’une hygiène de santé éprouvées depuis quelques millénaires…
En effet, ses différentes formes et techniques, comme ses théories, sa métaphysique et sa spiritualité, tout en puisant leurs racines aux époques les plus lointaines de nos civilisations, sont toujours d’actualité…
Néanmoins, malgré le décalage manifeste entre notre monde occidental moderne matérialiste en suractivité et ces techniques d’intériorisation venu de l’Orient ancien, nous pourrions penser que certaines de nos racines culturelles plus profondes sont en réalité communes. Le langage étant le véhicule privilégié de la culture, notons que le sanskrit (la ‘langue parfaite’, la ‘langue des dieux’) se trouve être une langue racine, la plus ancienne de toutes les langues indo-européennes. Comme nous le dit Colette Poggi : « Il est vrai que, dans une certaine mesure, le sanskrit est proche de nos langues actuelles, puisqu'il appartient à la même famille indo-européenne, tout en étant un témoin de ses formes les plus anciennes, la sœur aînée dit-on pour rendre compte des liens de familles ! » (« Le Sanskrit, souffle et lumière », Ed. Almora).
La forme de Yoga la plus connu en occident est issue du Hatha-Yoga, « le yoga du corps », qui peut étymologiquement se traduire par « Yoga de l'effort », voire « Yoga de la Force » ou encore « Union de la lune et du soleil » ("Yoga Shikha Upanishad"). Cette dernière définition symbolise l'équilibrage dans un premier temps, puis la réunification de nos composantes existentielles duelles complémentaires (tels l’inspiration et l’expiration, la droite et la gauche, le haut et le bas, le jour et la nuit, la pluie et le beau temps, le masculin et le féminin, etc.), qui, bien que clairement manifestés à l’extérieur, le sont tout autant à l'intérieur, en fonction, par exemple, de nos pensées, émotions, humeurs, souffles, canaux d’énergie (Ida et Pingala), etc.
Le terme « yoga du corps » se trouve mentionné dans la Gheranda Samhita (un des grands textes classiques du Hatha Yoga), dès le deuxième verset : « Shri Candakapali dit : O Maître et Seigneur du Yoga, je souhaite apprendre et maîtriser ce yoga du corps qui mène à la connaissance de la Réalité, la science des Tattva » (Trad. Jean Papin). Cependant, comme clairement exprimé dans cette phrase, avec la notion de connaissance (Jnana ou Gnose) de la Réalité suprême (Brahman) ainsi que la référence aux Tattva (plans de la réalité) du Samkhya (cosmologie métaphysique), originellement ce yoga « physique » n’a vraiment de sens que dans un but « métaphysique » et sotériologique (science du salut de l'âme et de la Délivrance). D’autre part, dans les tantra, le corps est aussi vu comme le temple, l'instrument, le véhicule privilégié sans lequel il ne peut pas y avoir de chemin. « Sans le corps, l’homme ne peut atteindre aucun résultat » (Rudrayamala Tantra). « Sans le corps il n’y a pas de béatitude suprême » (Hevajra Tantra). « Le corps est le temple du dieu. L'individu est Sadçiva (la manifestation physique du Seigneur Shiva sous son aspect d'Être pur) » (Vijnana Bhairava Tantra).
Tous les styles de yoga qui utilisent l’arsenal des différentes postures et autres techniques, quelques soient leurs noms, dérivent du Hatha Yoga. En effet, la quasi totalité des postures que nous utilisons (approximativement une centaine, mais traditionnellement 84) sont bien issues de cette lointaine tradition, même si celles-ci ont pu se multiplier et se modifier au fil du temps, avec la construction d’enchaînements posturaux liés à des alignements d’anatomie physiologie spécifiques (au XIX ème et XX ème siècle notamment).
Concernant le nombre des postures, les textes classiques nous précisent : « Enfin, des innombrables postures enseignés par les maîtres du Yoga, 80 sont importantes mais 4 seulement sont indispensables, à savoir : Siddhasana, Padmasana, Simhasana et Bhadrasana. » (Yoga Tattva Upanishad, verset 28, trad. Jean Varenne). « Les postures sont aussi nombreuses que les espèces d’êtres vivants. Seul le Seigneur suprême connaît distinctement leurs innombrables variétés. D’entre leurs quatre vingt quatre centaines de milliers, une représentant chaque centaines de milliers a été retenue ; c’est pourquoi Shiva a fixé le nombre des postures à cent moins seize. » (Goraksha Shataka, verset 5-6, trad. Tara Michaël). « D’entre les 84 postures enseignées par Shiva, je choisie les quatre essentielles, et je vais les expliquer. » (Hatha Yoga Pradipika, verset 33, trad. Tara Michaël). « Au total les postures sont aussi nombreuses que les espèces vivantes. Shiva en à décrit 84 centaines de milliers. Parmi elles on distingue seulement 84 principales et parmi ces 84, 32 ont été retenues comme les plus utiles pour le monde des humains. » (Gheranda Samhita, II, 1-3, trad. Jean Papin).
Ce chiffre 84 est également symbolique et fait aussi référence aux 84 grands yogis réalisés (Mahasiddha) de la tradition hindoue, que nous retrouvons également énumérés dans la tradition du bouddhisme Mahayana et Vajrayana.
Néanmoins, malgré cette allusion à un grand nombre de postures, tous les textes s'accordent à n'en retenir que trois ou quatre principales et finalement une seule essentielle en assise méditative : « Quel besoin des innombrables autres postures, lorsqu'on a atteint la perfection en Siddhasana (la posture parfaite), et que le souffle est soigneusement restreint par la kevala kumbhaka (suspension du souffle) ? » (Hattha Yoga Pradipika, I, 41, Trad. Tara Michaël).
Dans la tradition hindoue, les différentes formes de yoga n’adoptent pas forcement les techniques posturales. Pour exemple, le Karma-Yoga est le « Yoga de l’Action » (détachée, désintéressée et réalisée en pleine conscience : « le Yoga est dextérité dans les actes » nous dit la Bhagavad Gita, II, 50) ; le Bhakti-Yoga est le « Yoga de la Dévotion » envers sa divinité d’élection (« l’Être est Un, les Sages lui donnent des noms multiples » : Rig Veda 1. 164. 46 : phrase qui porte en elle-même la résolution de tous les conflits religieux) ; le Jñana-Yoga est le « Yoga de la Connaissance » (métaphysique) ; le Raja-Yoga est le « Yoga Royal ». Ce dernier nous est notamment transmis par Patanjali par l’intermédiaire d’un texte : les Yoga-Sutras, les « aphorismes du yoga » (rédigé il y a approximativement deux mille ans). Néanmoins Patanjali n’est pas le créateur mais le codificateur et le compilateur d’un texte témoignant d’une tradition beaucoup plus ancienne. Selon l’indologue français Jean Varenne, dans l’introduction de sa traduction des “Upanishads du Yoga” : « la tradition du Yoga ne date pas du VII ème siècle avant notre ère mais remonte loin en arrière, au moins jusqu’à Mohenjo-Daro et probablement plus avant encore, dans la préhistoire ». Et avec Mohenjo Daro, nous sommes déjà au troisième millénaire avant J.C… Mais d'autres auteurs comme Jean Filliozat sont beaucoup plus prudents : « Il est abusif de parler de yoga avant que les caractéristiques essentielles du yoga soient réunies. »
Le Raja Yoga nécessite essentiellement l’assise dans la verticalité, l’immobilité et le silence, afin de développer des états méditatifs en passant par les huit étapes classiques (Yama : refrènements, Niyama : observances, Asana : posture, Pranayama : respiration, Pratyahara : intériorisation, Dharana : concentration, Dhyana : méditation, Samadhi : Eveil ou Supra-conscience, 'Enstase' selon la définition de Mircea Eliade) menant au but final : Kaivalya, l'Isolement et le Détachement ultime.
Le Raja Yoga porte également différents noms tel que « Yoga Darshana », car il appartient à l’un des six point de vue (darshana) philosophique/métaphysique de la tradition brahmanique orthodoxe (âstika). Ce qui signifie qu’à ce titre, il est, non seulement reversé aux hindous, mais aussi aux hommes et aux ascètes renonçants (samnyasin)... Même si l'étude et la compréhension des Yoga Sutra est fondamentale et incontournable, il est intéressant de voir combien les écoles de yoga modernes s'en réfèrent autant à cette antique tradition de Patanjali, tout en étant pourtant aux antipodes (ce qui n'empêche pas de contextualiser en intégrant que les différents membres du yoga peuvent être vécus et interprétés différemment pour les personnes comme nous, ayant une vie active dans le monde, de grihasta, comme diraient les hindous).
La Raja Yoga est aussi nommé « Patanjala Yoga » ou encore « Ashtanga Yoga ». Mais ce dernier terme ne doit pas être confondu avec le style de yoga beaucoup plus récent datant du XX ème siècle et issue de Pattabhis Jois (1915 – 2009). Car il est également important de préciser que, dans le Yoga de Patanjali, depuis sa création multi millénaire, et aussi par l’intermédiaire des principaux commentaires qui ont amplifié son enseignement, il n’a jamais été question d’aucun enchaînement spécifique de postures : Yoga Bhashya de Vyasa (VI-VIIème siècle après J.C.), Tattvavaicaradi de Vacaspati Micra (IXème siècle), Rajamartanda du roi Bhoja (1018 – 1060), Yogavarttika et Yogasarasamgraha de Vijnanabhikshu (XVIème siècle), Maniprabha de Ramananda Sarasvati (XVIème siècle).
En réalité, la dénomination de Ashtanga Yoga (Yoga en huit membres) n’est pas exclusive au Raja Yoga, mais peut également s’appliquer au Hatha Yoga, bien que plus tardivement. Même si ce dernier peut être énuméré comme étant un Yoga en six membres (Shadanga Yoga), la Yoga Tattva Upanishad nous dit (Verset 24, p. 1118, Trad. Martine Buttex, Ed. Dervy, 2012) : « Écoute maintenant ce qu’est le Hatha Yoga. Ce yoga possède, dit-on, les huit membres suivants : les restrictions, les injonctions, les postures, le contrôle du souffle, le retrait des sens, la concentration, la contemplation et l’état d’absorption unitive. » Ce qui témoigne aussi d’une parenté commune, malgré leurs différentes branches attestées.
D’ailleurs, nous voyons que le Raja Yoga est clairement mentionné comme but à atteindre dans la voie du Hatha Yoga (Hatha Yoga Pradipika, chap. I, Verset 2) : « Ayant salué en son guru Natha lui-même, le yogi Svatmarama entreprend cet exposé de la science de Hatha, uniquement en vue du Raja Yoga. »
Pourtant, traditionnellement, le Hatha yoga ne fait pas directement parti de l’orthodoxie brahmanique, à laquelle se rattache officiellement le Raja yoga en tant que Yoga Darshana (à moins de finir par considérer le Hatha comme une branche du Raja). Outre les passerelles qui ont toujours eu lieu entre ces différentes voies, ainsi que l'héritage ancien et prestigieux du Raja Yoga classique, auquel le Hatha Yoga se réfère, nous devons également savoir que, en langage Hatha yoguique, le Raja Yoga (yoga royal) signifie : un état spirituel, synonyme de Samadhi (Eveil ou Supra-conscience), en tant qu’intériorisation et absorption la plus profonde à atteindre (d'où la traduction 'enstase' selon Mircea Eliade). Cet état de réalisation spirituel n’était donc plus l’apanage exclusif de la Voie ‘Raja Yoga’ expressément nommée en tant que telle. Et la Hatha Yoga Pradipika nous éclaire encore un peu mieux à ce sujet (chap. IV, verset 3-4) : « Yoga royal (Raja yoga), Samadhi, état au delà du mental (unmani), extinction du mental (manonmani), immortalité (amaratva), dissolution (laya), Réalité (tattva), vide et non vide (shunyashunya), suprême séjour (para pada), suspension des opérations psychiques (amanaksha), non dualité (advaita), état sans support (niralamba), état immaculé (niranjana), Libération dès cette vie (jivan-mukti), état naturel (sahaja), état quatrième (turya) sont tous des mots synonymes. »
Le Hatha-Yoga se rattache également au tantrisme (bien que les hatha yogin aient également intégré les enseignements du Vedanta), une tradition bien loin des élucubrations caricaturales qui ont cours. Le Nath Sampradaya est la voie initiatique traditionnelle à l’origine de son développement en Inde, via Adi Natha (le Seigneur Originel, identifié à Shiva), et par la suite, les maîtres de lignée et Avatars (incarnation divine sur terre) que furent Matsyendranath et Gorakshanath notamment. Tous les textes originels du Hatha Yoga sont écrits par des Natha Yogi (Goraksha Shataka, VIIIème-Xème S., Siddha Siddhanta Paddhati, XIIème S., Hatha Yoga Pradipika, XVème S., Gheranda Samhita, XVIIème S., Shiva Samhita, XVIIème S., etc.). Bien qu’essentiellement shivaïtes, les membres de cette lignée ont aussi eu tendance à accepter des personnes venant d’autres courants religieux, comme le vishnouisme, le shaktisme, le jaïnisme, le bouddhisme, le soufisme, le vedanta, etc. (qui eux-même étaient déjà tous imprégné de Yoga au sens large, d’une manière ou d’une autre). Tous ces échanges ont permis à cette fabuleuse méthode si particulière (le Hatha Yoga), outre le fait d’avoir pu s’orienter de différentes manières, de se répandre progressivement jusqu’à dépasser les frontières de l’Inde pour parvenir jusqu’à nous.
Le tantrisme – dont le Shivaïsme et le Shaktisme ainsi que le bouddhisme (Mahayana et surtout Vajrayana) sont les véhicules privilégiés –, est une recherche d’ouverture et d'expansion de nos prises de conscience (dans nos états ordinaires, notre conscience est bien souvent étriquée, assujettie) tout en développant une meilleure circulation de nos énergies vitales (que nos agitations ont tendance à disperser et à amenuiser). Le tout se faisant progressivement en étant de plus en plus intériorisé et recentré, pour que ces deux choses fondamentales – la Conscience (Shiva) et l’Energie (Shakti), dont tout l’univers est issu – se réunissent enfin depuis la base jusqu’au sommet de l’être humain et se fondent dans l’unité, afin de délivrer notre espace intérieur de la dualité psycho-mentale, qui en est l’obstacle. Bien qu'il puisse y avoir de multiples expériences d'éveils de conscience et d’éveils d’énergies et à différents degrés, la grande expérience de montée de l’Énergie est appelée l’éveil de Kundalini.
La notion de Kundalini Yoga est d’ailleurs utilisée dans des textes identiques par les mêmes auteurs pour désigner la même méthode : le Hatha Yoga dont l’un des but fondamental est l’éveil de Kundalini… « C’est par le Kumbhaka (suspension du souffle) qu’à lieu l’éveil de la kundalini, et lorsque kundalini est éveillée, Sushumna (le canal central) n’est plus obstruée et le succès en Hatha Yoga s’ensuit » (Hatha Yoga Pradipika II, 75, 76). « Kundalini est unanimement décrite comme ayant une forme enroulée analogue à celle du serpent. Celui qui a réussi à mettre en mouvement cette Shakti (énergie) est libéré sans le moindre doute. » (Hatha Yoga Pradipika, III, 108), « Comme une clé permet d’ouvrir une porte, le Hatha yoga provoque le réveil de l’énergie enroulée, kundalini, qui force l’accès au Soi, au Brahman. » (Gheranda Samhita, III, 51), etc. Nous avons donc deux termes différents pour signifier la même méthode, et non pas deux styles de yoga différents comme nous le voyons à l’heure actuelle. Le style de yoga actuel qui porte le nom de « Kundalini Yoga » date en réalité du XXème siècle et est issu de Yogi Bhajan (1929 – 2004) – qui a également crée les fameux ‘Yogi Tea’ – mais tire également ses racines du Hatha Yoga, tout en ayant subit d’autres influences, comme notamment le Sikhisme.
Le texte précédemment cité : « Hatha Yoga Pradipika » (la petite lampe du hatha yoga) est probablement le texte le plus célèbre concernant cette voie. Il aurait été rédigé par Yogi Svatmarama au XV ème siècle de notre ère. Néanmoins, comme pour Patanjali avec les Yoga Sutra, Yogi Svatmarama n’est pas le créateur du Hatha Yoga mais un compilateur du texte sanskrit Hatha Yoga Pradipika. Toute transmission étant avant tout orale, en Inde, lorsqu’un texte est rédigé à une certaine date (d'ailleurs souvent incertaine), la tradition dont il témoigne est bien souvent très antérieure. Par exemple « Goraksha Shataka » (un des principaux textes sur le Hatha Yoga) est daté entre le VIII ème et le X ème siècle. Et le Hatha Yoga se trouve également mentionné dans un tantra bouddhiste très ancien, le Guhya-samaja-tantra, que l’on pourrait peut-être dater du IV ème siècle et traduit en tibétain au VIII ème siècle : « si vous n’obtenez pas le succès en dhyana (méditation) : jnana siddhi (le pouvoir de la connaissance), l’expérience méditative, vous pouvez avoir recours au Hatha Yoga pendant six mois ». Ceci ne veut pas non plus dire que le Hatha Yoga viendrait du bouddhisme car le bouddhisme à pris naissance et s'est développé pendant plus de mille ans en Inde au contact avec différentes traditions de Yoga, tout en s'étant également exporté et développé dans d'autres contrées.
Kundalini représente l’Énergie cosmique primordiale, reposant dans l’être humain, à la base de la colonne vertébrale, en sommeil. L’objectif principal du Hatha Yoga sera donc de réveiller cette énergie des profondeur afin de la faire remonter le long de l’axe central interne (la Sushumna) pour qu’elle se réunisse (yoga) avec la Conscience primordiale, afin d’atteindre l’illumination spirituelle. Lorsque le dieu Shiva – qui symbolise l’Être, qui est le principe d’Essence et de Conscience Primordiale inconditionnée, immuable et immobile ou « l’œil qui voit tout » – et sa parèdre la déesse Shakti – qui symbolise la Substance et la Matière Primordiale qui est Puissance et Énergie cosmique en tant que Matrice originelle et Mère divine universelle, présente en tout et qui nous contient tous – réalisent leur noces dans le Cœur du yogi, alors la Délivrance (Moksha) se produit…
Mais avant le but virtuel il y a surtout le chemin pratique. Et il s’agit de son propre chemin de vie, que la pratique du yoga va accompagner et aider pour sa propre découverte, connaissance et réalisation. Même si « tout est souffrance pour celui qui sait » (Yoga Sutra II, 15) - ainsi que l'atteste également la première des quatre nobles vérités du bouddhisme (Duhkha) - ne serait-il pas possible, en plus d’une recherche d’éveil spirituel (Moksha), de réaliser le bonheur et la jouissance ici-bas (Bhoga) ? Le Yoga Vasistha semble nous y inviter : « Ce corps est conçu à la fois pour la jouissance et pour la Libération du Yogi. Il ressemble à un jardin merveilleux. Son propre corps, pareil à une vaste citée, existe pour l'expérience du bonheur, et non pas pour celle de la souffrance ».
Bien que le yoga soit l’apanage d’une ancienne tradition (toujours vivante), et vu sa large diffusion actuelle, il est aussi possible de contextualiser. En ce sens le Yoga devient universel. Et la devise gravée sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes : « connais-toi toi-même » (gnothi seauton), et qui fût très justement complétée par la suite en : « ...et tu connaîtras l'Univers et les Dieux », peut également parfaitement lui convenir. Même si le berceau du Yoga est la civilisation de la Vallée de l’Indus et que le Bouddha y a puisé sa méthode, son utilisation actuelle et sa diffusion dans le monde ‘laïc’ est largement répandue. En ce sens, il n’appartiennent plus à aucune chapelle, comme il n’est pas non plus nécessaire d’être bouddhiste pour pratiquer la méditation (bien qu’il soit aussi possible de l’être). Toute personne motivée pour avancer sur son propre chemin peut s’y adonner, quels que soient ses concepts et croyances (même les 'non-croyants' sont des croyants en leur propres concepts). Car le Yoga est avant tout une méthode pratique et efficace permettant une meilleure connaissance et utilisation de son corps et de son mental, ou pour dire autrement, de ses véhicules psycho-physique, que la Conscience incarne afin d'expérimenter l’existence.
Le Yoga n’a pas non plus pour but exotique de nous ‘orientaliser‘ mais bien plutôt de nous ‘orienter‘ sur notre propre chemin (Svadharma). En effet, dans notre époque moderne, de trop nombreuses personnes se sentent désorientées, déracinées, un peu perdues… Le Yoga permet de contribuer à son ancrage (les pieds sur terre) ainsi qu’à sa verticalité (la tête dans les étoiles) en conscience.
Le Yoga est donc à la fois le but et le chemin qui mène au centre de Soi (Atman). Mais le « Soi » est aussi à comprendre comme étant l'essence originelle fondamentale de son être, non uniquement comme sa personnalité – pour ne pas dire son personnage ou son ego (Manas/Ahamkara) – qui, bien que nécessaire, va devoir être relâché un peu, en enlevant les couches successives d’ignorances qui nous voilent la véritable Présence de l’instant, à la fois éphémère et éternel…
Pour nous, qui sommes conditionnés par l’espace et le temps, l’esprit ne peut se réaliser sans le support du corps et vis versa… Le corps et le mental ainsi que l’existence sont donc bien les champs d’expérimentation de notre véritable Nature. La Connaissance ne consiste donc pas uniquement à fuir ce monde, mais aussi à unifier ce monde/ses mondes et à nous ancrer plus profondément, dans l'ici et maintenant… En ce sens : tout est Yoga ! Certaines écoles anciennes pouvaient d’ailleurs tout aussi bien affirmer : « tout est énergie » ou encore : « tout est conscience » ! Oui, mais d’autres ne pouvaient-elles pas également nous dire que : « tout est illusion » ?…
Néanmoins, afin de ne pas rester dans de simples vues de l’esprit aussi intéressantes soient-elles, le chemin nécessite une chose fondamentale : la pratique.
Étant donné que nous récoltons les fruits des graines que nous semons, la pratique est le meilleur moyen pour en semer de nouvelles…
Quoiqu’il en soit, après toutes ces belles considérations spirituelles, nécessaires à une brève présentation générale de la dimension du Yoga ; le Hatha-Yoga, proposé à l’Académie de Yoga, restera toujours très pratique et concret… Il s’agira principalement de faire un travail intériorisé sur le corps par l’intermédiaire des postures, immobiles ou en mouvements ; sur la respiration qu’il s’agira de fluidifier et de faire circuler en profondeur de manière régulière, et aussi sur le mental par le fait de s’intérioriser et de se concentrer : tout simplement… mais les choses les plus simples ne sont pas toujours les plus faciles !
Le tout nous permettra de façon concrète d’évacuer nos tensions nerveuses et de mieux canaliser nos éparpillements mentaux et émotifs, et aussi d’entretenir une meilleure vitalité, souplesse et résistance physique aussi bien que mentale, et pourquoi pas, de nous éveiller, en enlevant progressivement les différents voiles illusoires recouvrant notre vue ordinaire.
Cela ne sera pas de trop pour affronter les vicissitudes de l’existence et pour développer un meilleur savoir vivre et savoir être, afin de réaliser Son chemin.
Bonne pratique !
Axel de Saboulin